Réflexions et solutions alternatives à la dé-médicalisation des naissances ou comment re-placer la femme au cœur du processus d’accouchement.
Un document co-signé entre Gül Bolat – M2 Mention Culture Politique Patrimoine, Institut de Géographie, Paris IV – Sorbonne et Aïcha Girard – professeure-formatrice de yoga, Institut YOGA NACRE, Paris-Aubervilliers (yoganacre.com)
UN LIEU
Pendant des siècles, les femmes ont donné la vie au péril de la leur. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XXème siècle (1952) que la majorité des Françaises se rendent à l’hôpital pour accoucher, un taux qui passe à 85% en 1962, puis à 92% en 1974, même si certaines femmes (issues de la haute bourgeoisie ou des milieux très reculés) donnent encore naissance à domicile. Ce déplacement du lieu de naissance s’accompagne d’une forte baisse de la mortalité en couche, ainsi que des méthodes d’accouchement médicalisées.
Après la sécurité, la maitrise de la douleur : En 1952, le célèbre obstétricien Fernand Lamaze, importe une technique psychologique découverte lors de son séjour en URSS, qui consiste à informer et « à conditionner » les futures mères sur les différentes étapes de l’accouchement tout en préconisant la méthode de la respiration du petit chien. On parle alors de l’ASD (Accouchement Sans Douleurs). C’est dans la maternité parisienne des Bluets, alors gérée par la CGT et l’Union des Syndicats des Métallurgistes de la Seine, qu’il l’expérimentera et la mettra en pratique.
« Il a mis au point une méthode non médicamenteuse, en expliquant aux femmes ce qui se passait dans leur corps, en leur proposant des exercices pour soulager l’utérus et déconditionner des réflexes de douleur, détaille Marie-France Morel. Ça a très bien marché et a même été remboursé par la Sécurité sociale en 1956. Mais au début des années 1970, des voix se sont élevées pour dire que cela ne marchait pas pour tout le monde. »
UNE RENCONTRE
C’est en participant aux cours de préparation à la naissance au sein de la maternité des Bluets dans le XIIème arrondissement de Paris, que j’ai fait la connaissance d’Aïcha Girard, professeure de yoga et Infirmière Diplômée d’Etat.
« Il y a des parcours de vie qui se font de façon très linéaire, et d’autres qui prennent des chemins de traverse. Pour ma part, j’ai emprunté les chemins de traverse, même si ce n’était pas toujours décidé sciemment. J’ai ainsi côtoyé dans un premier temps le monde de la santé et du soin en tant qu’infirmière. J’ai travaillé dans une cellule de recherche sur les dépenses de l’hôpital en tant qu’économiste de la santé. J’ai fait un passage à l’éducation nationale en tant que professeure de lycée, avant de commencer à enseigner le yoga aux femmes enceintes. »
« Ce qui me plait par-dessus tout c’est l’humain : comment il s’inscrit dans son milieu naturel et comment il s’implique dans sa vie personnelle durant son séjour sur terre. »
UN ENGAGEMENT
« Si je devais utiliser une métaphore je dirais que je prête mes lunettes à la femme enceinte afin qu’elle puisse voir les choses avec un regard nouveau, autre que celui formaté par son éducation »
Aïcha Girard a réussi à créer dans les lieux où elle exerce, mais aussi dans l’enceinte des Bluets, un espace de bienveillance, d’écoute, de partage de connaissances, d’expériences, de savoirs et de conseils, un espace dédié aux femmes enceintes pour les préparer mentalement et physiquement à l’accouchement, par le biais d’une technique bien particulière : le Yoga Nacre
« Mon regard se veut objectif – avec l’objectivité qui est la mienne – pour apporter un éclairage nouveau à la fois aux professionnels de santé, et surtout aux futures mamans, à travers une méthode que j’ai élaborée pour les préparer au mieux à vivre et à s’impliquer dans leur acte d’enfantement. Cette méthode je l’ai appelé le Yoga Nacre (Nouvelle Approche Corporelle Relationnelle et Emotionnelle) pour apprendre aux femmes à se préparer et à devenir autonomes dans leur acte d’enfantement. »
« J’ai conçu le Yoga Nacre pour offrir aux femmes les moyens d’accoucher selon leurs souhaits tout en bénéficiant d’un encadrement hospitalier sécurisant. Le Yoga Nacre est finalement la méthode de préparation que j’aurais aimé rencontrer quand je cherchais à accoucher naturellement. A l’époque la pression sociale était telle que l’on m’accusait de refuser le progrès et de vouloir retourner à l’âge des cavernes. J’ai ainsi accouché plusieurs fois naturellement et j’aime à répéter avec humour, que j’aurai pu le faire encore plusieurs autres fois en comptant sur mes propres ressources. »
Ainsi par cette technique « alternative », Aïcha Girard replace la femme au centre du processus d’enfantement : cette dernière n’est plus passive mais l’actrice principale de son accouchement, par la compréhension et la maitrise des actes médicaux pratiqués lors de l’accouchement, elle peut s’émanciper et s’approprier ce moment en écoutant son corps.
Par exemple, différentes positions d’accouchement sont proposées en tant qu’alternatives à la position « médicalisée », qui consiste à allonger la femme sur le dos et à positionner ses jambes dans les étriers. Cette position qui n’a rien de naturel est considérée comme étant la « norme ». Elle est pratiquée dans la majorité des hôpitaux pour la raison suivante : elle favorise l’intervention du médecin et du corps médical.
Par ailleurs, on peut aussi faire remarquer que la péridurale qui engourdit le corps de la femme, participe elle aussi, à remettre entre les mains du corps médical une grande partie de la prise en charge de l’accouchement. Cette sur-médicalisation est aujourd’hui vivement dénoncée et est de plus en plus remise en cause par les patientes elles-mêmes, notamment dans les récents débats sur les « violences obstétricales » et les mutilations médicales.
Aïcha Girard souligne un point important, selon elle :
« la façon dont les formations médicales et paramédicales sont organisées fait que l’on privilégie le soin technique au détriment du soin relationnel. La santé est devenue en quelques années un bien de consommation qui a tendance à perdre de son humanité ».
Cependant une prise de conscience a émergé, et les femmes se tournent de plus en plus vers des médecines dites « alternatives » qui consistent à limiter les actes médicaux. Des techniques qui privilégient la compréhension, l’écoute et la pleine conscience par les femmes, de leur corps. L’heure de la médecine toute puissante est aujourd’hui dépassée. Les femmes ne sont plus passives – spectatrices voire dans certains cas victimes – mais bien actives lors de leur accouchement.
« Durant ma carrière d’infirmière, dans les années 70, je me suis retrouvée à me poser une multitude de questions sur le soin, l’accouchement et les soignants. A l’époque, je ne comprenais pas pourquoi les femmes qui accouchaient dans une grande maternité de pointe où je travaillais, accouchaient dans des conditions que je trouvais maltraitantes vis-à-vis de leur corps, de leur psychisme et de leur émotionnel. A partir du moment où elles venaient à l’hôpital, elles devaient se soumettre aux règles de fonctionnement de celui-ci sans avoir leur mot à dire. Leurs corps devenaient en quelque sorte la propriété de l’hôpital. Au nom de la médecine, elles pouvaient se retrouver à subir plusieurs touchers vaginaux successifs et inutiles pour permettre aux étudiants d’apprendre leur métier. On leur imposait la position couchée sur le dos pour accoucher, et elles devaient obéir. On leur posait la péridurale – qui était devenu un acte technique incontournable et on leur faisait une épisiotomie systématique. Il y avait beaucoup de femmes qui venaient d’Afrique et du Maghreb. Elles avaient déjà accouché plusieurs fois dans leur pays, de manière traditionnelle et sans aucun souci. Et leur accouchement médicalisé dans un grand hôpital de pointe, devenait un accouchement compliqué. La prise en charge médicale de ces femmes, non seulement n’apportait aucune amélioration par rapport à leur accouchement naturel, mais en plus se concluait avec des complications plus ou moins douloureuses. »
Le témoignage d’Aïcha rend compte d’une certaine gouvernance (nationale) appliquée spécifiquement au corps féminins, régie par des impératifs médicaux, économiques, politiques mais aussi culturels. Nous retrouvons ici le triptyque genre, sexe, race. Des corps qui doivent « se soumettre aux règles de fonctionnement » de l’hôpital, devenant en quelques sorte (selon le protocole) et pour un certain temps (le temps de l’hospitalisation), la propriété de l’établissement. Or l’hôpital dont il est question est un espace géré en partie ou totalement par l’Etat : le corps physique de la femme enceinte ne devient-il pas de ce fait un objet, partiellement régit par le corps politique ?
Un mécanisme disciplinaire s’applique dès lors méthodiquement sur les corps féminins. Selon Foucault, « la discipline considère le corps comme machine, qu’il s’agit de contrôler et de dresser, domaine de l’anatomo-politique du corps humain. » Il ajoute que celle-ci va de pair avec le bio-pouvoir qui « s’étend au-delà du corps et plus spécifiquement vers la vie ».
DES CORPS POLITIQUES…
« Dès Hobbes, corps et politique ont tissé des liens très forts. L’auteur du Léviathan ainsi que les philosophes de la tradition contractualiste – Locke et Rousseau – comprenaient le corps comme métaphore de l’État. »
Le philosophe Michel Foucault va lui aussi s’emparer du sujet afin de démontrer, décortiquer et analyser les dispositifs par lesquels le politique investit les corps : il s’agit du bio-pouvoir. Selon la théorie foucaldienne, « le pouvoir prend la vie (biologique) comme objet. »
« Un des phénomènes fondamentaux du XXème siècle a été… une prise de pouvoir sur l’homme en tant qu’être vivant, une sorte d’étatisation du biologique. »
Le contrôle des corps, plus particulièrement du corps féminin, a été un des sujets centraux du siècle dernier, notamment les politiques de contrôle du ventre des femmes, qui devient au fil des avancées médicales, un enjeu économique, politique et culturel déterminant au sein de la nation.
Partant de cette thèse, nous pouvons avoir une grille de lecture foucaldienne sur les techniques de contrôle des corps des femmes enceintes : par la mise en place de lieux de naissance (les hôpitaux et les maternités publics) qui sont régis par des protocoles très stricts (application d’un protocole unique, normativité des techniques et des méthodes médicalisées et « légitimes » car reconnues comme étant scientifiques, en rejetant les méthodes plus traditionnelles, douces et naturelles, non légitimes du point de vue étatique car non-conformes et n’ayant pas fait l’objet d’une reconnaissance « scientifique »). Ces établissements ainsi que les méthodes qui y sont pratiquées bénéficient par ailleurs d’un monopole en termes de communication. Ils sont porteurs d’un discours « normatif », soumis à une iconographie occidentale, judéo-chrétienne (la madone à l’enfant), nationale (Marianne), mais également capitaliste, car elle s’inscrit dans un créneau économique et un marché fluctuant. Le corps de la femme enceinte est aussi porteur de représentations dans l’imaginaire collectif. Il encore difficile de sortir de ce circuit de contrôles et de représentations, afin de s’orienter vers des techniques et des méthodes plus douces et naturelles, qui peinent encore à se démocratiser, car toujours considérées comme « alternatives ».
… QUI S’EMANCIPENT
Or ces techniques dites alternatives participent pleinement à l’émancipation des corps féminins : le Yoga Nacre en est un exemple. Il donne aux femmes le pouvoir et la capacité d’agir, d’accéder à un savoir afin de participer activement à leur accouchement, par de mouvement de corps (du bassin) des techniques de respiration (respiration abdominale profonde) et des positions (accroupies, à quatre pattes, etc.). Mettre en capacité les femmes à acquérir du pouvoir, autrement dit l’empouvoirement des femmes.
PÉRIMÈTRE D’INTIMITÉ
« Quand jeune infirmière, je devais faire l’ablation des fils ou des agrafes de l’épisiotomie de mes patientes, j’avais mal pour elles. Je considérais l’épisiotomie comme une mutilation de la partie intime des femmes ».
« Quant à mon tour je me suis retrouvée enceinte, je décidais de bien choisir ma maternité car je ne voulais pas être un numéro dans une grande structure, avec le risque d’être traitée avec désinvolture dans le cadre d’un protocole qui m’imposerait l’épisiotomie. (…) Je n’avais surtout pas envie qu’on touche à mon périmètre d’intimité, c’est-à-dire à mon périnée. L’accouchement est un acte qui mérite d’être protégé par la médecine, et non pas un acte qui doit être bridé dans un carcan juridico-économico-social. Je ne cherchais pas des soins particuliers, je voulais juste être respectée dans mon acte d’enfantement. »
Cela fait plus d’une dizaine d’années qu’Aïcha Girard a perfectionné le Yoga Nacre, une méthode applicable à toutes, en tout premier lieu à elle-même, pour remplacer la méthode de l’ASD avec la respiration du petit chien, tout en restant dans l’héritage du professeur Fernand Lamaze.